Lab. P — Prélude
Troisième laboratoire de création dans le cadre du projet de recherche-création doctorale « La fabrication de la scène et les pratiques qui favorisent la composition de dramaturgies plurielles ».
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Le laboratoire a été constitué de plusieurs variantes de départ :
Le professeur Robert Faguy, mon directeur de recherche, voulait proposer un dispositif de création pour se lancer dans un premier essai de son nouveau projet de recherche-création intitulé Dérives créatives : OUvLEsPOt.
Thomas Rieppi, étudiant au doctorat en éducation musicale, fait une recherche sur l’interdisciplinarité dans la création et éducation en musique et voulait exploiter les enjeux et dialogues possibles entre création sonore et vidéo.
Et moi, je voulais pousser plus loin les questions de mon deuxième laboratoire de création. Mon désir était de continuer à travailler avec la spatialisation et le temps des éléments de création pour générer des compositions plurielles.
Donc, à partir de ces trois envies, Robert nous a proposé un dispositif spatial de départ et un texte d’inspiration, Automatisme pour la radio (Claude Gauvreau, 1961) et nous a provoqué à ouvrir les potentiels de ce dispositif, moi à travers la perspective de la vidéo et Thomas celle du son.
Étape 1 : séquence de départ
Proposition d’une séquence de départ guidée par la vidéo.
Après la proposition du dispositif, je me suis lancé à l’exploration des possibilités formelles offertes par les éléments vidéo : deux projecteurs mobiles et quatre moniteurs dans les quatre murs de la salle. Par possibilités formelles, je me réfère à un regard vers le dispositif qui repère ses données matérielles : les informations de l’espace, du temps, des formes (moniteurs, projecteurs, lumière, miroirs, qualités des objets, etc.) et les concepts de base de la proposition (les corps virtuel ou robotique des personnages, constitués par les projecteurs et les miroirs mobiles du dispositif et la notion d’automatisme du texte).
Pour mettre en mouvement cette première ouverture de potentiel, je l’ai combiné avec des éléments de création qui font déjà partie de mon répertoire de recherche : l’idée de faces et pensées (double vidéo exploré dans le cadre de mon deuxième laboratoire) et les portraits (base de mon premier laboratoire). Cette association n’arrive pas seulement par un désir, elle se produit parce que dans le dispositif nous avons la suggestion de deux figures/personnages robotiques. Donc, ce réseau avait déjà des nœuds de départ.
J’ai commencé par dessiner plusieurs possibilités d’emplacement et mouvement de la vidéo à partir de ces ressources et j’ai fait une liste et un vidéo de ces emplacements et déplacements pour mieux les visualiser.
Donc, le premier moment de création était : repérer mes références + repérer les potentiels formels du dispositif et par la suite proposer la séquence vidéo qui allait entamer la création.
Après la mise en place du dispositif, de voir et sentir l’espace et faire quelques essais formels, avec des mouvements, couleurs, luminosités, je suis arrivé à repenser la première liste de possibilités, qui est devenu plutôt une liste d’actions/inspirations à explorer :
1. animation des figures (mains et pieds, casino des parties de la face).
2. pensées (réédition du répertoire d’images du laboratoire 2) : les moniteurs qui étaient corps deviennent esprit.
3. casino des mots du texte.
4. mouvements des moniteurs : circuler/attraper, contamination des écrans, les images fusionnent dans un écran (attrapé).
5. Jeu : les moniteurs comme des miroirs.
6. Jeu : couleurs et textures pour établir les liens entre moniteurs et projecteurs-figures.
Alors, pour la proposition de la séquence de départ, je me suis penché sur l’animation des figures.
Transition/évaluation 1
Dans le moment de partage et évaluation de cette première séquence, nous avons discuté quelques notions structurantes pour l’incorporation d’autres médias et la suite de la création :
– relations formelles entre éléments : accord, désaccord, autonomie. Au niveau de la spatialisation (espace), de la nature des images et sonorités (concepts), de rythmes, vélocités, dynamiques (temps).
– géométries du dispositif (espace) : concentré, opposé, aléatoire, élargi.
Étape 2 : deuxième séquence
Proposition d’une séquence guidée par le son.
Thomas nous avait fait écouter quelques extraits sonores après le partage de la première séquence vidéo et à partir d’un de ces extraits — un son de grésillement en montée — il nous a proposé une séquence sonore. Pour la création vidéo à faire dialoguer, j’ai ajouté aux stimulus de sa séquence mon désir de travailler avec une composition visuelle des mots du texte.
Transition/évaluation 2
Notions théoriques et questions mises en évidence après l’expérimentation des deux séquences :
– Simplexité* : il y a plusieurs couches (niveaux, lignes) qui composent la complexité de la création, mais chaque ligne doit être pensé de manière simple, a fin d’offrir des chemins de compréhension et sensibilité pour le spectateur et ne pas devenir juste un objet de frustration de perte.
– Le processus de création en dramaturgies plurielles : une posture de validation d’idées versus le peaufinage. Sortir de la logique de répétition qui constitue le processus dominant au théâtre, dans le sens de répéter pour peaufiner. La question est : quelles sont les autres possibilités ? Dans cet exercice nous avons choisi de travailler par étapes, séquences et couches. Nous avons choisi de ne pas retravailler nos séquences plusieurs fois, mais d’ajouter à des séquences simples de base d’autres éléments pour découvrir les potentiels de création du dispositif.
Potentiels formels repérés pour la suite de la création :
– logiques verticale et horizontale.
– établir un concept, un jeu clair et simple, pour après défaire, répéter, élargir ces structures.
– matérialités des éléments :
espace — mouvements vertical et horizontal (déplacements, lignes, croisements) ;
temps — synchronie, autonomie, répétition de logiques, mouvements, séquences, éléments — ;
nature/concepts — une photographie d’une bouche versus une bouche dessinée, les images des parties de la face versus les couleurs, les images des moniteurs versus les images projetées.
En parallèle à l’élaboration de la deuxième séquence, nous avions continué nos essais en son et vidéo. De mon côté, j’ai continué à explorer les actions/inspirations de ma liste initiale et j’avais d’autres compositions vidéo que j’ai partagé avec l’équipe : une séquence « machine à casino » des parties de la face et une séquence dans laquelle les éléments circulent dans l’espace d’un moniteur à l’autre. J’ai associé à mes idées initiales les logiques de mouvement vertical et horizontal que nous avions repéré en regardant nos deux séquences initiales.
Ces idées, concepts et les explorations en son et vidéo ont fait émerger une séquence de base :
Séquence en boucle d’environ 15 minutes :
1. couleurs, activation des figures, mouvement horizontal, miroir.
2. grésillements, feu, noir (sombre).
3. casino des parties de la face, mouvement vertical.
4. pas, mouvement horizontal (synchronie et attraper).
5. fin : reprise du mouvement vertical.
Étape 3 : couches et niveaux
Ajout d’autres médias et éléments à la séquence de base et exploration du niveau poétique/fictionnel de la composition.
Couches :
Avec la mise en séquence de nos compositions des ajustements se sont montrés nécessaires, des potentiels d’écriture, des manques ou la perte de contact avec des éléments sont apparus. À partir de ces enjeux, nous avons intégré de nouvelles lignes d’écriture (texte et éclairage) et retravaillé les lignes existantes (moniteurs, projections, mouvement des miroir mobile et environnement sonore). À partir de ce moment, nous avons changé la direction du processus : avant il était orienté par la proposition des nouvelles séquences à partir d’un média de base (son ou vidéo) et à partir d’ici, il est orienté par les relations entre éléments, formelles et poétiques. Il devient axé sur des ajustements des séquences et l’ajout de nouveaux éléments pour augmenter la complexité de l’expérience et ouvrir d’autres potentiels du dispositif.
Niveaux :
Nous avons pu identifier dans le cadre de ce laboratoire deux niveaux de composition qui ont traversé le processus : un niveau formel et l’autre poétique. Le niveau formel a été le centre de nos explorations initiales, parce que notre envie était d’ouvrir les potentiels du dispositif de création. Donc, nous nous sommes penchés sur les conditions matérielles (espace, temps, qualités des objets et appareils) et leurs possibilités de composition. Cependant, même si notre focus était dirigé vers ce niveau, le niveau poétique nous a toujours accompagné. Depuis le début, nos propositions de séquence ou ajustements ont été accompagnées d’images — les machines d’un casino, les appareils qui prennent feu, le moniteur qui devient un miroir — , des concepts — le désir de faire vivre, donner corps aux personnages robotisés — et des choix qui englobent des sensations, des intuitions et un désir de beauté (dans l’esthétique qui constitue l’univers de la proposition). Ce niveau poétique a orienté, aussi, plusieurs décisions dans la création et reste un niveau à explorer en plus de profondeur dans une possible suite du travail.
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« La simplexité est cette complexité déchiffrable, car fondée sur une riche combinaison de règles simples. […]
Simplifier dans un monde complexe n’est jamais simple. Cela demande notamment d’inhiber, de sélectionner, de lier, d’imaginer. »
(Berthoz , Alain, La Simplexité, Paris : Odile Jacob, 2009, p. 12.)